Tous les coachs qui sont passés par une école de coaching « reconnue » ont entendu ce mantra : « Le coaching n’est pas une psychothérapie, et le coach n’est pas un thérapeute ». Mais tous les coachs qui font le métier de coach le savent bien : la frontière entre coaching et psychothérapie est beaucoup plus ténue et artificielle qu’il y paraît.

J’ai besoin d’un coaching car je ne vois plus clair du tout dans mes projets professionnels. J’aimerais que vous m’aidiez à mettre de l’ordre dans mes idées, à dégager mes priorités.

Cette demande, je l’ai entendue à de multiples reprises depuis que j’ai embrassé le métier de coach. Et j’y ai répondu un même nombre de fois. A première vue, voilà une demande claire: le contrat de coaching sera respecté à la lettre. La déontologie du coach ne sera pas prise en défaut. Il ne s’égarera pas dans les méandres du passé de son client ou de sa cliente, il ne sera pas confronté aux manifestations de l’inconscient.

Foutaises, bien entendu. Si le coach est présent à son coaché, s’il entend ce qui n’est pas dit, s’il voit ce qui bouge sous la surface, sous la peau, dans le coeur, s’il pressent les émotions, s’il en ressent lui-même, l’inconscient ne cessera de se manifester, dans des mouvements de transfert et de contre-transfert qui agiteront le coaché et le coach.

Si le coach est présent à son coaché, il entendra, sous le présent embrouillé, le passé qui s’agite pour sortir de sa tombe. Parfois, souvent même, c’est le coaché lui-même qui s’en ira visiter spontanément son passé, enhardi par l’une ou l’autre question puissante et quelques prises de conscience: surpris par certaines récurrences, curieux d’en savoir plus, avide d’établir des liens, il voyagera entre l’ici et maintenant, et le hier toujours présent.

Si le coach est présent à son coaché, il entendra, sous le présent embrouillé, le passé qui s’agite pour sortir de sa tombe.

Très sincèrement, je me vois mal interrompre ces voyages initiatiques en opposant un « Stop, là nous sortons du cadre du coaching ! ». D’expérience, je sais que ce voyage-là, qui ouvre sur l’imprévisible, l’oublié, le refoulé, est le plus fabuleux qui soit. C’est lui, le plus souvent, qui permet les avancées les plus spectaculaires dans le processus du coaching.

Mais pour « soutenir » ce voyage, pour y accompagner utilement le coaché, c’est bien aux outils acquis durant ma formation à la psychothérapie, et à tout ce que j’ai engrangé durant ma propre psychanalyse, que j’ai recours. Sans eux, je me sentirais bien démunie.

Le coaching n’est pas une psychothérapie…

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit: je n’ai pas dit que le coaching était une thérapie. Cette relation d’accompagnement n’a pas un objectif thérapeutique, et ce même si, le plus souvent, elle a des vertus « collatérales » thérapeutiques. Ce qui distingue le coaching des psychothérapies?

  • Il s’adresse en principe à des personnalités non pathologiques;
  • Il est d’une durée convenue à l’avance (ou à peu près);
  • Il se focalise (en principe) sur des problématiques liées à la vie professionnelle;
  • Il s’intéresse au comment (futur, solutions) et pas au pourquoi (passé, causes).

Tout cela est clair, sur un plan théorique du moins. Le hic : les « personnalités pathologiques » n’ont en général pas l’étiquette « personnalité pathologique » collée sur le front. Certaines pathologies sont discrètes, se confondent presque parfaitement avec une bonne petite névrose « ordinaire ».

…mais le coach devrait être formé à l’approche psychothérapeutique

 Qui pourrait reprocher à un coach, même très compétent, de ne pas avoir repéré la psychose qui se cachait sous l’apparence de normalité de son client ou de sa cliente ? S’il n’a jamais été confronté à ce genre de cas, s’il n’a pas dû se farcir une « bible » de psychopathologie au cours de sa formation, s’il n’a pas dû faire un stage au sein d’un établissement accueillant des patients atteints de psychose, border line ou dépressifs, s’il n’a jamais participé à groupes de partage de pratiques, s’il n’a pas évolué sous la férule d’un psychiatre ou d’un psychologue clinicien pour faire ses armes, comment diable pourrait-il être sûr de ne pas s’embarquer dans une aventure qui pourrait s’avérer fort nuisible pour son client ? Comment espérer qu’il réagisse de manière adéquate si son client ou sa cliente « décompense » en pleine séance de coaching un peu trop « remuante » ?

Et, même si l’on sort de ces situations extrêmes, comment fera le coach pour repérer les résistances du coaché, les manifestations de transfert et de contre-transfert, s’il n’a pas été formé à ces notions, ingrédients pourtant essentiels à un accompagnement professionnel de la personne ? Pour démêler les émotions et les pensées que provoquent en lui les dires de son client, comment fera-t-il s’il n’a pas entrepris un long et exigeant travail sur soi, travail inhérent à la pratique de la psychothérapie, et que l’on n’aborde que très superficiellement et très rapidement dans les écoles de coaching ?

Si le coach n’est pas formé aux notions de transfert et de contre-transfert, comment fera-t-il pour en repérer les manifestations chez le coaché?

« Le coaching se focalise sur la vie professionnelle »: cette affirmation fait sourire n’importe quel coach un peu aguerri. L’être humain n’est pas constitué de strates parfaitement indépendantes, le privé d’une part ; le professionnel, de l’autre. Les deux s’entremêlent, dansent et virevoltent dans un mouvement comparable à celui qui unit le présent et le passé. Quant au fait de s’intéresser exclusivement au comment (et donc au futur,) et non pas au passé (et donc aux causes de la répétition d’éventuels échecs ou difficultés), ce serait comme d’administrer un médicament à chaque fois que quelqu’un s’enrhume, sans se préoccuper de savoir s’il vit dans un lieu à l’abri des courants d’air…

J’aurais donc tendance à partager l’opinion de S. Berglas, psychiatre et chercheur à l’école de management de l’UCLA (1). Il s’insurge contre les pratiques « bricolées » des coachs qui ne possèdent pas une formation psychosociale solide, et qui vendent des solutions simples pour des résultats rapides, en ignorant les éventuels problèmes ou enjeux psychologiques sous-jacents. Selon lui, l’expertise psychologique est un pré-requis absolu au métier de coach…

(1) Berglas S., The very real dangers of executive coaching, in Harvard Business Review, juin 2002.