Le coaching en entreprise ne serait-il qu’une manipulation pour rendre les salariés plus « utiles », mieux adaptés à un système basé sur la performance économique et le pouvoir hiérarchique ?  Cette question nous taraude, à Explicite. Dans notre pratique, nous tentons une voie incertaine et difficile : un coaching éthique.

A l’instar du cocher (les mots « coach » et « cocher » ont les mêmes racines) qui exhorte ses chevaux à aller plus vite, le coach en entreprise est souvent perçu comme celui qui va booster les performances des salariés, en particulier des managers, afin de les rendre conformes aux attentes de l’entreprise. Le coaching en entreprise ne serait rien d’autre, alors, qu’une violence qui ne dit pas son nom : une violence prétendument exercée au bénéfice du coaché, de son mieux-être qui – comme c’est merveilleux – rencontrerait les aspirations aux « résultats » de l’entreprise ou de l’association.

Le coaching en entreprise : pour asservir …

C’est ce que ses détracteurs lui reprochent: le coaching en entreprise est souvent utilisé comme un « airbag affectif » pour des individus de plus en plus sous pression et vulnérables (1). L’intervention du coach en entreprise permettrait de faire coïncider les aspirations personnelles des individus, leur besoin de se sentir mieux dans leur peau au travail, d’être davantage reconnus et valorisés, avec les exigences productivistes des entreprises. Le coaching effacerait alors la frontière entre les aspirations personnelles et les intérêts de l’entreprise ». Il asservirait davantage encore le travailleur, tout en lui donnant l’illusion de s’épanouir.
A Explicite, dans notre pratique d’executive coach, nous avons, effectivement, été confrontés à ce genre de situation. Zoom sur quelques demandes de commanditaires, c’est-à-dire les Ressources Humaines de diverses entreprises, ou la direction elle-même.

1/ « Cela fait un moment que les résultats de ce manager ne progresse plus : vous pourriez le coacher pour stimuler sa motivation et sa combattivité ? »
2/ « Nous ne savons plus que faire de cette employée. Elle sabote systématiquement les décisions de la direction, elle met un mauvais esprit. Nous avons décidé de lui proposer un coaching comme dernière tentative. Si cela ne marche pas, nous serons obligés de la licencier. »
3/ « Je n’en peux plus de la pression inhérente à ce poste de direction. J’ai peur de craquer. Pourriez-vous me redonner l’énergie suffisante pour tenir le coup ? M’aider à gérer mieux mon temps et mon stress ? »

Ces exemples sont tirés de la réalité. Le coach qui tenterait de satisfaire ces demandes « telles quelles » accepterait de s’inscrire dans un processus d’adaptation aux exigences de l’organisation. Pire : il favoriserait, chez le coach en entreprise, l’intériorisation du pouvoir organisationnel.

… ou libérer ?

Voici encore des situations vécues, par les coachés eux-mêmes, cette fois:

1/ « Vous m’avez aidé à prendre conscience que je n’étais plus en phase avec les valeurs de mon entreprise. C’est là où le bât blesse. Il faut que je me mette en quête d’un autre travail. »
2/ « J’ai réalisé à quel point mes principes un peu rigides m’empêchaient d’éprouver de l’empathie pour mon chef et, en règle plus générale, pour quiconque ne partage pas ma vision du monde. Je voyais le monde en noir et blanc, aujourd’hui je distingue les nuances. Cela a des répercussions sur ma vie professionnelle – je m’y sens mieux, plus ouvert, moins sur la défensive -, et aussi sur ma vie privée. »
3/ « Vous avez réveillé ma capacité au lâcher prise, vous m’avez fait prendre conscience de mes besoins et permis de retrouver les mots justes pour les exprimer. Vous ne m’avez pas appris à « gérer mon temps », mais à le prendre. Vous ne m’avez pas appris à « gérer mon stress », mais à le déposer, à solliciter de l’aide, à déléguer. »

Nous ne sommes pas dupes : le coaching participe bien d’un processus de régulation sociale.

Là où la demande apparaît comme asservissante, le résultat semble au contraire émancipateur. Dans la première situation, la personne coachée a décidé de se mettre en quête d’un travail qui lui correspond davantage. Plusieurs mois après la fin de ce travail, il nous est revenu qu’Antoine, ainsi que nous l’appellerons, est toujours dans son entreprise. Mais il se dit apaisé depuis qu’il a pris sa décision. Hier, il craignait les entretiens d’évaluation. Aujourd’hui, il les attend avec sérénité. « Au pire, dit-il, je suis viré. Cela me permettra de chercher à l’aise un autre job, en ayant un peu d’argent devant moi. »

Dans le deuxième cas, on peut certes parler d’une meilleure « adaptation » du sujet avec le monde qui l’entoure. Ce coaching aura donc abouti, c’est vrai, à une sorte de normalisation. Mais cette normalisation n’est, à notre avis, rien d’autre qu’une conséquence du mieux-être de la personne. Majda (prénom d’emprunt), comme elle le dit elle-même, a « changé de branche ». Ce changement de position lui a permis de rejoindre son chef et, plus largement, « l’autre » en général, sur sa branche à lui, et d’appréhender ainsi le monde vu depuis cette situation-là. Majda a accepté que l’autre ne soit pas elle, ne pense pas comme elle, ne vive pas comme elle, n’ait pas les mêmes aspirations qu’elle, et que cela n’en fait pas pour autant un ennemi. Au bout de ce cheminement personnel, elle a acquis, dit-elle, une « fabuleuse liberté ».

Dans la troisième situation, c’est le directeur de l’entreprise (en l’occurrence ici, une association du secteur non-marchand), qui nous avait demandé de l’aider à répondre de façon plus performante à ce qu’il croyait être les exigences de sa fonction. Ses prises de conscience l’ont amené à lâcher prise, à baisser les exigences qu’il s’imposait à lui-même.

Le coaching éthique

Chez Explicite, nous ne sommes pas dupes : le coaching participe bien d’un processus de régulation sociale. Nous ne prétendons pas transformer nos coachés en révolutionnaires, ni les amener à rompre avec les « chaînes » de leur statut de travailleur, à rompre avec leur entreprise, avec la société capitaliste, avec le pouvoir pyramidal. Parfois, ils rompront, changeront de boulot, voire de vie. Mais ce n’est pas le but en soi du coaching. Le but premier du coaching est bien de « réguler ». Mais nous sommes persuadés que ce processus de régulation peut s’opérer sous la forme d’une harmonisation, d’une médiation, plutôt que d’un contrôle ou d’un asservissement (2).

Tant mieux si les chemins d’évolution inventés par les travailleurs rencontrent leurs besoins personnels.

En tant que coachs en entreprise, nous savons que les jeux de pouvoir font partie intégrante des organisations. A ce titre, le coaching peut être positif. C’est le contexte général de l’entreprise, la conception du pouvoir qui y domine et l’intention de la pratique du coaching qui détermineront les outils mis en oeuvre et le sens du coaching. Cela suppose, évidemment, que le coach soit bien conscient des enjeux et des paradoxes inhérents à la situation de coach en entreprise. L’économiste Christian Arnsperger prône une « éthique post-capitaliste », qui ferait passer les entreprises de l’incitation par la réussite matérielle et économique à des « institutions centrées sur l’humanisation existentielle ». « Il s’agit, ajoute-t-il, d’engendrer un désir éthique et une capacité à l’acceptation critique d’une réalité économique au sein de laquelle l’être aura à se créer une voie de libération » (3).

De la même manière, la démarche du coaching peut créer, au sein même des organisations, un espace d’analyse critique des mécanismes, demandes et exigences imposées aux employées et aux cadres, pour leur permettre d’inventer les chemins d’évolution qui rencontreront leurs besoins personnels.

  1. Gori R. & Le Coz P., Le coaching : main basse sur le marché de la souffrance psychique, in Cliniques méditéranéennes, n°75, 2007.
  2. Ce qui précède est largement inspiré du travail de fin de formation présenté par Jean-Paul Minet pour l’obtention du Certificat universitaire en Executive Master en Business Coaching, UCL-ICHEC 2009-2010, téléchargeable ici.
  3. Arnsperger C., Ethique de l’existence post-capitaliste, Paris, Ed. du Cerf,