L’empereur et philosophe romain Marc-Aurèle a toujours réussi à combiner les exigences de la gouvernance avec un strict respect de ses valeurs. Il pourrait inspirer bien des dirigeants d’aujourd’hui. Et si nous faisions rentrer la philosophie dans l’entreprise et les cercles du pouvoir?

Par Isabelle Philippon

Les chefs d’entreprise forment une espèce en pleine mutation. Oui, je vous jure. C’est le cas, du moins, de quelque 4 % d’entre eux, les visionnaires. Ceux-là vont faire des petits, engendrer 15 % de « chevaliers » qui, eux, vont agir en conséquence, pour faire concrètement changer les choses. Ces derniers feront bouger une multitude de gens. C’est toujours comme cela que le monde change : par le fait de quelques-uns, plus courageux ou simplement plus clairvoyants.

Et le monde de l’entreprise change, c’est certain. Comme le monde tout court. Ce monde dont les crises – sociétale, politique, financière, économique, environnementale – ont révélé qu’il courait à sa perte, gouverné qu’il était par une armée d’aveugles, et menacé par une armada de fous.

Les dirigeants en quête de sens

 Ces chefs d’entreprise « chevaliers » ou en voie de le devenir, nous en rencontrons régulièrement, chez Explicite. Ceux-là ne veulent pas de coachings de « performance », qui ne font que renforcer le système existant, un paradigme dépassé. Ils réclament un coaching de « sens ». Qui réconcilie l’être et l’avoir, l’être et le faire. Car, qui trouve-t-on, dans les entreprises ? Des hommes et des femmes, pères et mères de famille, passionnés ou désireux de l’être, plus ou moins heureux, avides d’aimer et d’être aimés.

Quand ils se lâchent, les patrons se plaignent de ce que les profits de leur entreprise ne bénéficient ni au monde, ni à leur moral.

Des gens comme tout le monde, en somme. Mais qui, le plus souvent, sont contraints de mettre sous le boisseau leurs besoins fondamentaux. Contraints ? Oui, par un système en perdition, qui soutient que l’unique but de l’entreprise est le profit. Alors, souvent, quand vient le soir, ou le moment de se délasser au club en golf – on ne se refait pas – avec quelques amis, ils se lâchent. Ils se plaignent de ce que le profit de leur entreprise ne bénéficie pas au monde. De ce que leur créativité font du bien aux chiffres trimestriels, mais pas à leur moral.

Marc-Aurèle : un guide inspirant

En les entendant, j’ai eu envie de leur faire découvrir Marc-Aurèle, cet empereur romain (121-180) et philosophe stoïcien qui parvenait si bien à exercer le pouvoir tout en restant aligné sur ses valeurs et en oeuvrant pour que les interactions entre les différentes parties prenantes du système se passent de manière harmonieuse. « Chacun vaut ce que valent les objectifs de son effort », se plaisait-il à répéter. Et ces chefs d’entreprise, ils ont aimé découvrir Marc-Aurèle. Ils ont aimé chercher l’action juste, même si cette démarche demande une grande discipline et une infinie rigueur.

L’empereur et philosophe romain Marc-Aurèle : « Chacun vaut ce que valent les objectifs de son effort. »

 

La philosophie dans l’entreprise

Ce dont ont besoin les chefs d’entreprise et les managers, aujourd’hui, c’est moins d’une gestion efficace de l' »avoir » et de l' »organisation » que de sens. Il est temps d’introduire la philosophie dans l’entreprise, d’encourager une démarche qui interroge les manières de faire et de penser du monde du business. La démarche philosophique révèle les compétences des hommes et des systèmes, elle soumet l’objectif de l’entreprise à la question, elle le met en relation avec la marche du monde, elle met de la réflexion dans l’action, elle relie le décideur à ce qui l’entoure – son personnel, ses clients, les consommateurs, les citoyens. Elle le relie aussi – surtout – à ses émotions. Emotions ? Elles ont été longtemps bannies du monde de l’entreprise, considérées comme un parasite dans l’art de produire de la richesse. Leur bannissement a produit des dirigeants et des managers coupés d’eux-mêmes et du monde. Il a produit des générations d’entrepreneurs en exil intérieur.

Le monde, déchiré entre les incroyables richesses de la planète et l’effroyable injustice sociale, a plus que jamais besoin de décideurs en accord avec leurs valeurs profondes. Il a de plus en plus besoin de la philosophie, pour retrouver du sens. Le monde de l’entreprise ne peut plus être une jungle, ni les entrepreneurs, des requins.

Vive Marc-Aurèle !